Légendes de la Route : Histoires Raccontées la Nuit

Bon, je vous ai tellement raconté de choses ces derniers mois sur le travail, que j’ai pensé changer un peu. Pourquoi ne pas soulager le stress avec un peu de notre propre folklore ? Parce que oui, nous les routiers, nous avons le nôtre, tout comme les anciens peuples de notre Europe.

Alors je me suis mis à chercher, écouter et me souvenir. Et il y a une richesse d’histoires qui volent de bouche en bouche, sur les parkings, dans les routiers, des histoires qui grandissent avec chaque voyage et chaque imagination.

En ces derniers jours de l’année, je me suis proposé de rassembler quelques-uns de ces récits, ces anecdotes démesurées qui naissent sur les tronçons les plus solitaires de cette géographie vaste et sombre. Je vous assure que plonger dans ce monde de narrations inventées, où la vérité s’étire comme l’ombre d’un camion au crépuscule, a son charme.

Le Fantôme du Bas-Côté
Une des plus répandues sur les fréquences CB. Beaucoup jurent être tombés, sur une route déserte au cœur de la nuit, sur une silhouette sur le bas-côté. Parfois c’est un auto-stoppeur avec des vêtements démodés ; d’autres fois, une jeune femme avec une robe blanche qui flotte. Ils font signe, demandant par des “cris” silencieux à être emmenés. Le routier, avec cet instinct d’aide, s’arrête. Les fait monter. Mais après quelques kilomètres, quand il reporte son regard sur le siège du passager… il n’y a personne. Ils se sont évaporés. Dans certaines versions, on découvre plus tard que c’était quelqu’un mort dans un accident exactement là, il y a des décennies. Dans d’autres, le fantôme est bon : il y a même des vidéos floues sur les réseaux d’une silhouette lumineuse poussant un piéton pour lui éviter de se faire écraser. Sont-elles vraies ? Qui sait. Mais l’histoire s’en nourrit.

Le Camion qui a Bougé Tout Seul
Celle-ci est un classique. Celle du conducteur qui, rendu par un de ces orages qui lavent l’asphalte, se gare dans une station-service abandonnée pour dormir un peu. Il s’effondre dans la couchette. À son réveil, quelque chose ne colle pas. Le paysage a changé. Le camion est des kilomètres plus loin, ou les traces autour montrent qu’il a tourné en rond toute la nuit, comme en transe. Lui n’a pas touché le volant. Les uns disent que c’est l’œuvre de forces que nous ne comprenons pas ; les autres, que c’étaient de mauvaises blagues. Mais la peur de se réveiller et de ne pas reconnaître l’endroit où l’on s’est endormi… ça, c’est réel.

Les Lumières qui Suivent
Sur les tronçons les plus reculés, où l’obscurité est absolue, beaucoup ont juré les avoir vues : des lumières qui dansent. Ce ne sont pas des phares, ni des réflecteurs. Ce sont des boules brillantes, des feux follets qui vacillent et flottent le long de la route, suivant le rythme du camion. Elles te poursuivent sur des kilomètres, et quand tu décides que c’en est trop, elles s’éteignent d’un coup. Dans les aires de repos, on débat : ce sont des OVNIs ? Quelque chose du sous-sol ? Des fantômes d’autres voyageurs ? Personne n’a la réponse, mais tout le monde connaît quelqu’un qui les a vues.

Le Chien du Diable
Une des plus troublantes. On parle d’un chien noir, énorme, qui apparaît de nulle part au milieu de la nuit, sur des routes désertes. Ce n’est pas un animal normal : il a des yeux rouges qui luisent dans la brume des phares, et il court. Il court à la hauteur du camion à une vitesse impossible, fixant le conducteur. La légende dit que si tu le regardes dans les yeux, cela porte malheur, provoque des accidents… ou pire. Ceux qui l’ont vu racontent qu’un frisson leur glace le sang, et que la bête, soudain, se dissipe comme si elle n’avait jamais été là.

La Fille du Virage
Celle-ci, un vieux routier galicien me l’a racontée. C’était une nuit close d’hiver, avec un brouillard qui trempait tout. Il rentrait chez lui, luttant contre le sommeil, quand il la vit. Une fille, immobile comme un poteau, sur le bas-côté. Elle ne portait qu’une chemise de nuit blanche, vaporeuse. Pensant à un accident, il s’arrêta. Elle monta sans dire un mot. Pas un bruit. Le voyage continua dans un silence pesant. Il essaya de parler, mais elle regardait seulement devant elle. Soudain, d’une voix qui ne semblait pas de ce monde, elle murmura : “Attention au virage.” Il fronça les sourcils : il n’y avait aucun virage sur cette ligne droite. Mais quelques secondes plus tard, le brouillard s’écarta et le voilà : un virage très serré qui n’apparaissait pas dans sa mémoire. Il donna un coup de volant brusque, le camion dérapa et se retrouva en travers. Le cœur sur le point de lui sortir par la bouche, il se tourna vers le siège du passager pour demander si elle allait bien. Le siège était vide. Seul le froid de la nuit dans la cabine.

Le Freinage Fantôme
Et bien sûr, celle du bruit que tout le monde redoute d’entendre : le son sec, assourdissant, des freins à air actionnés à fond alors qu’il n’y a rien devant. Un freinage sec au milieu de nulle part, sans raison. Certains disent que c’est le souvenir d’un accident imprégné dans l’asphalte ; d’autres, que c’est un avertissement de l’au-delà pour te faire ralentir. Quoi qu’il en soit, plus d’un est descendu du camion les jambes tremblantes, vérifiant les essieux et les roues, sans trouver la moindre égratignure. Seul l’écho du choc, se répétant dans la tête.